Jérôme Coppel : "Le vélo est un sport individuel qui se pratique en équipe"
- Benjamin Deschamps
- 5 oct. 2021
- 7 min de lecture
Cycliste professionnel pendant près de 10 ans, Jérôme Coppel est une référence dans les étapes de montagne ainsi que dans le contre-la-montre, où il a été champion de France en 2015. Après avoir stoppé sa carrière en 2016, il est devenu consultant à la télévision et a ouvert PowerWatts, un complexe de cyclisme en salle, en Suisse. Il revient sur son parcours et sa vision du cyclisme.

Benjamin : Peux-tu te présenter ?
Jérôme : J’ai 35 ans, j’ai commencé le sport très tôt avec le ski de fond, j’étais en ski étude avant de basculer en 2003 sur le vélo. Je suis passé professionnel au sein de l’équipe Française des Jeux en 2008 et j’ai arrêté ma carrière en 2016. J’ai été champion de France de contre la montre, je suis arrivé 3ème au championnat du monde, j’ai participé à 6 Tour de France dont 1 où j’ai terminé à la 13ème place. Aujourd’hui je gère des salles de préparation physiques à Genève appelées PowerWatts Switzerland.
Benjamin : Comment en es-tu arrivé au cyclisme ?
Jérôme : J’étais en ski-études. L’été, nous faisions des sorties à vélo en guise de préparation physique. En plus de cela, mon père était un ancien cycliste de haut-niveau. A cette époque je faisais du football mais cela ne me plaisait plus donc je me suis naturellement orienté vers le vélo avec une priorité au ski. Cela a fini par beaucoup me plaire mais je ne pouvais plus concilier les deux disciplines donc je me suis consacré à 100% au cyclisme.

Benjamin : A quoi ressemblaient tes semaines d’entrainement en tant que cycliste professionnel ?
Jérôme : Les premières courses commencent en février. De février à octobre, nous sommes principalement à vélo (6 jours sur 7) et à côté de cela nous faisons des séances de renforcements musculaires, d’assouplissements, mais l’entrainement est vraiment basé sur du vélo pur. Lors des intersaisons, entre novembre et février, nous allons dans les salles de sport pour soulever des poids. 6 jours sur 7 nous nous entrainons en variant le rythme des sorties et nous faisons beaucoup attention à notre récupération.
Benjamin : Comment ce goût pour la montagne t’est-il venu au détriment du sprint ?
Jérôme : C’est tout d’abord physionomique (rires), la nature ne m’a pas doté de fibres très rapides, je ne suis pas un athlète explosif. Ma grande spécialité était la course contre la montre et j’avais quelques petites capacités sur les cols car je suis originaire de la Haute-Savoie. Ce qui me convenait mieux, c’était surtout le type d’effort sur la longue durée.

Benjamin : Comment arrives-t-on à gérer seul une course contre la montre sur plusieurs kilomètres ?
Jérôme : Justement c’est la grosse difficulté du chrono. Il y a des coureurs qui sont en "échappés" et sont capables de rouler très vite, mais seuls, ils iront moins vite car ils n’arriveront pas à gérer leur effort en autonomie. Il faut connaitre sa stratégie de course ainsi que le parcours. Mes restes d’entrainements en ski de fond m’ont beaucoup aidé à gérer mes efforts en autonomie.
"Le positionnement est plus que stratégique"
Benjamin : Nous pouvons très souvent remarquer que dans un peloton, il y a 5 à 9 coureurs de la même équipe qui sontn alignés les uns derrière les autres. Est-ce que ce positionnement est important stratégiquement ?
Jérôme : Le positionnement est plus que stratégique, il est même primordial dans le vélo parce qu’il y a des phénomènes d’aspiration ou de vent. Il suffit que le vent soit de côté pour que cela puisse par exemple créer des bordures. Il faut imaginer un peloton comme étant un élastique : quand l’élastique n’est pas tendu, le peloton ne roule pas très vite. Cela forme une boule, mais avec des impacts lors de virages et de petites descentes. Lorsque les premiers coureurs sortent du virage et commencent à accélérer pour reprendre le rythme de croisière, les derniers coureurs n’ont même pas encore freiné donc c’est comme si à la relance, l’élastique se tendait d’un coup. Lorsque cela arrive souvent, l’élastique fini par casser car l’effort est beaucoup trop intense. En moyenne, les premiers d’un peloton vont avoir une relance de 30 secondes alors que pour les derniers cela va s’intensifier en fonction de leur positionnement.
Ces efforts à répétition coûtent chers en fin de course. Les coéquipiers sont donc essentiels pour se protéger du vent, se tirer, etc. C’est pour cela que l’on voit de plus en plus d’équipe au complet être au coude à coude : Le vélo est un sport individuel qui se gagne en équipe.

Benjamin : Est-ce que tu te considères comme un coureur à étape ou plus comme un coureur pour le classement général ?
Jérôme : On m’a très vite catalogué comme une coureur du classement général parce que je roulais assez bien dans les courses contre la montre, j’arrivais à bien me placer dans les peloton, donc mon équipe m’a très vite orientée vers le classement général. Cela a bien fonctionné puisque j’ai eu de bons résultats. J’avais les capacités de finir entre 6e et 10e mais avec du recul, je suis conscient que je n’aurais jamais pu ramener un podium à Paris. Je pense donc que j’aurais eu plus d’opportunités à essayer de gagner des étapes plutôt que de gagner des places au classement général.
Benjamin : Quel est le style de course qui te conviens le mieux ?
Jérôme : Pour parler de l’épreuve pure, ce serait les longs chronos sur le Tour de France par exemple. C’est une bataille avec soi-même : on doit choisir son matériel, ses roues… Ce qui me convenait le mieux c’était les courses d’une semaine avec des contre la montre, et de la montagne comme un tour de Romandie.

Benjamin : Pour avoir à la fois fait le Tour d’Espagne et de France, notes-tu des différences entre ces deux compétitions ?
Jérôme : Il y a de grosses différence en terme de pression : le Tour de France est le 3e événement mondial, la plus grosse course au monde surtout en tant que coureur français. C’est aussi la seule course où tous les coureurs sont à 100% de leur forme, contrairement au Tour d’Espagne où les cyclistes y vont à contrecœur, ou encore pour préparer les Championnats du Monde. Le Tour de France se renouvèle chaque année même si cela reste traditionnel en terme de parcours, alors que le Tour d’Espagne joue plus sur le spectaculaire avec des montées très raides ou des chemins farfelus en fin de course. Le profil des étapes varie chaque année en fonction des régions.
"Plus la course avance plus la récupération est difficile"
Benjamin : Qu’est ce qui change le plus entre des courses avec et sans oreillettes. Y’a-t-il autant de stratégie dans les deux cas ?
Jérôme : Il y a de la stratégie dans les deux cas oui. Les directeurs sportifs ne nous parlent pas toujours dans l’oreillette : c’est un mythe (rires). Nous sommes libres d’adapter notre stratégie et de courir de la manière de notre choix. Il est vrai que l’oreillette facilite la communication en cas de piège, d’accident, et d’informations primordiales. Lorsqu’il n’y a pas d’oreillette l’organisation est plus difficile donc les courses restent plus spectaculaires.

Benjamin : En moyenne, combien êtes-vous dans chaque équipe et sur quoi l’entraineur se base-il pour la constituer ?
Jérôme : A mon époque nous étions 9 coureurs sur les grands tours. Aujourd’hui ils sont 8. En comptant le staff il y a une quarantaine de personnes : cuisiniers, entretien, kinés, entraineurs, préparateurs, attachés de presse, etc… Par équipe, il y a environ 17 voitures, 1 bus pour les coureurs, 1 camping-car pour les contre la montre, le camion pour le cuisinier, le camion pour la régie… Les managers créent leur équipe en fonction de leur objectif final. Ils choisissent un leader puis sélectionnent des coureurs complémentaires pour l’amener à la victoire.
Benjamin : Comment fais-tu pour récupérer entre chaque étape ?
Jérôme : C’est très dur. Plus la course avance plus la récupération est difficile. On a l’impression que cela n’est pas si exigeant à la télévision sauf que, souvent, nous avons du mal a descendre simplement les marches du bus (rires). Tout est optimisé pour la récupération lorsque nous ne sommes pas sur le vélo : cryothérapie, douche, kinés, massages, ostéopathe, alimentation protéinée, hydratation, confort dans le bus, bottes de compression, électrostimulation…Notre bus est équipé pour que nous soyons dans les meilleurs conditions.

Benjamin : Tu as arrêté ta carrière professionnelle aux alentours de tes 30 ans. Comment ta reconversion s’est passée ?
Jérôme : Cela faisait quelques années que je voulais arrêter ma carrière. J’ai commencé le ski de fond à haut niveau à 15 ans avant de me mettre au vélo. J’ai donc fait 15 ans en tant qu’athlète de haut niveau. J’ai arrêté volontairement ma carrière mais ajouté à cela, les médecins m’ont détecté une maladie au poignet qui m’a valu une opération. Je n’aurais donc pas pu continuer le sport professionnel après cela. Je réfléchissais déjà à mon après carrière depuis 2 ans. J’ai tout de suite passé un diplôme de personnal trainer en Suisse dans le but d’ouvrir mon centre d’entrainement. En 2018, RMC m’a contacté pour que je sois consultant au Tour de France pour remplacer Jérôme Pinault. Depuis cela se passe super bien, nous suivons toutes les étapes en voiture.
Benjamin : Pour toi, quelles sont les qualités requises pour réussir dans le cyclisme à haut niveau ?
Jérôme : Au-delà des capacités physiques, il y a le mental et l’écoute. Toute notre vie, nous sommes d’éternels apprentis. Le vélo est un sport tellement difficile, plus on se rapproche du haut niveau, moins il y a de mauvais. Mentalement il ne faut pas lâcher et être intelligent. Il faut essayer de comprendre pourquoi cela ne fonctionne pas, être bien entouré, écouter les anciens car les jeunes sont dans le haut niveau de plus en plus tôt.
Le 5 octobre 2021. Propos récoltés par Benjamin Deschamps. Retranscription et design par Lucie Vanlian. Tous droits réservés
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